Histoire Géographie

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Les enjeux de l'enseignement de l'EMC

 

Introduction de Corine Deniaud, IA-IPR d'Histoire-Géographie, au stage Enseigner en EMC : Enjeux et stratégies pédagogiques, septembre 2021.

 

 

 

 

 

Les objectifs de l'EMC

 

Le documentaire « Le jeu de la mort » peut servir de support pour présenter les objectifs de l’EMC. Diffusé pour la première fois en mars 2010, il met en scène un faux jeu télévisé, La Zone Xtrême, durant lequel un candidat doit envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes à un autre candidat, jusqu'à des tensions pouvant entraîner la mort. La mise en scène reproduit l'expérience de Milgram réalisée initialement aux États-Unis dans les années 1960 pour étudier l'influence de l'autorité sur l'obéissance : les décharges électriques sont fictives, un acteur feignant de les subir, et l'objectif est de tester la capacité à désobéir du candidat qui inflige ce traitement et qui n'est pas au courant de l'expérience. Dans le « Jeu de la mort » l'autorité scientifique représentée par des médecins-chercheurs est remplacée par l’autorité « médiatique » incarnée par une présentatrice de télévision. Bien que les participants aient été informés qu'ils ne gagneraient aucune somme d'argent puisqu'ils étaient censés participer à une émission test, le taux d'obéissance s’élève à 81 % ; il était de 62,5 % obtenus lors de l'expérience originale. Les réactions des candidats que l’on peut diviser en trois groupes (ceux qui refusent assez rapidement le principe de l’expérience, ceux qui abandonnent après avoir envoyé d’importantes décharges et ceux qui vont jusqu’aux bout de l’expérience en envoyant des décharges maximales) permettent de s’interroger sur les ressorts interviennent :

 

- La part de la sensibilité,

 

- Le rôle du droit et de la règle,

 

- La capacité à l’analyser la règle par soi-même en référence à un système de valeur et à porter un jugement,

 

- L’engagement qui permet d’agir et en l’occurrence de désobéir.

 

On trouve ici les quatre domaines qui fondent les programmes d’EMC.

 

Ethique et morale, valeurs et normes

 

 

D'après les ouvrages de Claudine Leleux

 

 

En philosophie morale, on distingue l’éthique et la morale. En référence à Kant, l’éthique correspond à l’ensemble des obligations auxquelles l’individu s’astreint pour atteindre le bonheur, le salut, et réussir sa vie, tandis que la morale fait référence aux obligations « catégoriques » que s’impose l’individu et qui commandent de faire le Bien. Cette distinction entre éthique et morale permet de hiérarchiser sur le plan didactique des obligations selon qu’elles n’engagent que le point de vue subjectif de l’individu ou, en revanche, le point de vue universel de tout être humain ou de tout citoyen du monde.

 

Les valeurs et les normes

 

Le concept de valeur doit pouvoir être appréhendé sous ses deux aspects, logique et pragmatique qui sont souvent confondus. La valeur se présente sous la forme logique d’un concept. Par exemple le concept de liberté se définit en compréhension comme ce qui caractérise l’homme lorsqu’il « se gouverne par la raison en l’absence de tout déterminisme » et en extension comme ensemble des libertés.

 

À ce titre, et comme dans le cas de n’importe quel concept, les valeurs ne peuvent être hiérarchisables : par exemple, la valeur « obéissance » et la valeur « désobéissance » s’excluent mutuellement sans qu’aucune d’elles ne prévale logiquement.

En revanche, si l’on approche la valeur sous son aspect pragmatique, les valeurs seraient les signes que nous utilisons pour rendre compte des expériences au monde qui ont été source de bien-être ou de plaisir, voire de mal-être ou de peine. Les valeurs sont donc l’objet de préférences personnelles puisque le bonheur et le sens de l’existence sont relatifs aux personnes. Pour étant, elles prennent souvent une force normative, fût-elle non réfléchie, d’autant que certaines valeurs comme l’amour et l’amitié, voire la liberté, l’égalité de droit et la solidarité, sont largement partagées dans le temps et l’espace.

Les sociétés démocratiques modernes et contemporaines adoptent le principe du respect de la pluralité des valeurs. Les droits à la liberté d’opinion, d’association et de culte, par exemple, visent à reconnaitre le pluralisme des valeurs et à en valoriser le respect au nom d’une expérience concluante pour un vivre-ensemble pacifique.

 

Si les valeurs ne sont pas hiérarchisables sur le plan logique, elles ne se valent pas au regard de la conception du bonheur de chacun.

Dans la discussion avec les élèves, l’expérience permet d’étayer une argumentation montrant combien la cruauté, le sadisme, la violence, le racisme peuvent être source de souffrance pour l’individu tandis que l’amour, l’amitié, la liberté, l’égalité, le respect, la solidarité peuvent être source de bien-être

Voilà pourquoi les premières nous semblent immorales et les secondes morales. Pourtant il serait vain de vouloir discuter du choix des valeurs en classe, choix qui ne peut être que personnel et relatif au telos de chacun.

En revanche, la discussion des résultats de l’expérience qu’en ont faite les hommes, peut faire émerger des raisons de préférer certaines valeurs à d’autres.

Le but éducatif n’est donc pas de contraindre les élèves à élire telle ou telle valeur, à modifier ou à discuter leur échelle axiologique, mais de les aider à gagner en autonomie (en les amenant à clarifier et à hiérarchiser leurs valeurs pour mieux se connaître), à respecter le pluralisme des valeurs et à échanger des justifications de préférences personnelles..

Lorsque l’enseignant se meut dans la sphère du valoir, il ne peut se comporter comme lorsqu’il travaille dans la sphère des faits et des raisonnements, il doit accueillir ces jugements personnels pour ce qu’ils sont, à savoir, une simple prétention à l’authenticité de celui qui les émet.

 

Les normes se distinguent des valeurs d’abord parce que formellement elles ne sont pas des concepts et ce, bien qu’elles les mobilisent. Alors que les valeurs se trouvent dans la sphère axiologique (valoir) et sont objets de préférences personnelles, les normes se meuvent dans la sphère déontologique (devoir), ce qui suppose un accord entre les destinataires de la norme. Habermas préconise de concevoir la validité, toujours provisoire de la norme, non a priori mais à l’issue d’une discussion.

 

Une éthique de la discussion

 

Jürgen Habermas a montré, en effet, que les sociétés modernes ont ceci de particulier de ne plus reconnaitre, comme procédé de validation des normes, que la discussion. La légitimité moderne, en devenant profane, suppose en retour la représentation d’un être humain capable d’une autonomie de jugement et une méthode de discussion comme moyen de se mettre d’accord sur ce qui engage tout un chacun. On ne peut donc plus conclure à l’acceptabilité des normes, pour Habermas, qu’au terme d’une discussion pratique et effective entre tous les concernés. Cette discussion doit être ouverte, égale, sans contrainte et sincère.

 

Quelles valeurs transmettre ?

 

Cela revient à dire que l’éducation à la citoyenneté vise à faire acquérir trois compétences :

 

- l’autonomie individuelle qui se décline en autonomie intellectuelle (penser par soi-même), en autonomie morale (juger par soi-même) et en autonomie affective (libérer ses désirs et maîtriser ses pulsions par le jugement) ; l’autonomie étant entendu au sens de Kant comme la capacité à désobéir librement à la règle ;

 

- la coopération sociale pour pouvoir se décentrer et se coordonner avec autrui ;

 

- la participation publique pour être capable comme citoyen, de s’engager dans la vie publique.

 

Ces compétences doivent être acquises de manière interdépendante. L’autonomie permet davantage de coopération et de participation ; la coopération renforce l’autonomie et la participation ; la participation exige l’autonomie que la coopération.

 

Ces trois compétences se justifient par le fait que :

 

- l’humain devrait idéalement être éduqué dans sa totalité, dans ses trois dimensions d’être pensant avec sa subjectivité ; d’être social qui se constitue une identité dans les interactions avec les autres et en s’appropriant le discours ; de citoyen enfin, en ce que cet individu-social est aussi l’auteur du pouvoir politique ;

 

- ces trois dimensions recoupent en outre les trois concepts sur lesquels s’articule la philosophie politique : l’individu, la société et l’Etat.

 

- ces trois compétences renvoient enfin aux trois grandes valeurs de la démocratie moderne : la liberté liée à la disposition à l’autonomie, la solidarité liée à la coopération sociale et l’égalité des droits liée à la participation publique.

Toutes ces compétences peuvent être décomposées selon les trois axes classiques de toute formation scolaire :

- savoir (aspect cognitif) ;

- savoir-faire (aspect conatif) ;

- savoir-être (aspect affectif) ;

puisque toute expérience morale au sens large, et donc toute expérience citoyenne, comporte une dimension cognitive (le jugement moral), une dimension conative (l’action morale) et une dimension affective (le ressenti moral).

 

Bibliographie

 

GRONDEUX, Jérôme. Esprit critique : outils et méthodes pour le 2nd degré. Canopé, collection Agir. 2019.

 

LELEUX Claudine. Relier les droits et les devoirs de 5 à 14 ans. De Beck, collection Apprentis citoyens. 2014.

 

LELEUX, Claudine. Hiérarchiser les valeurs et les normes de 5 à 14 ans. De Beck, collection Apprentis citoyens. 2014.

 

LELEUX, Claudine. Former à la coopéraiton et à la participation de 5 à 14 ans. De Beck, collection Apprentis citoyens. 2015.

 

LELEUX, Claudine et ROUCOURT, Chloé. Pour une didactique de l'éthique et de la citoyenneté : développer le sens moral et l'esprit critique chez les adolescents. De Beck. 2010.

 

ZAKHARTCHOUK, J.-M. Quelle pédagogie pour transmettre les valeurs de la République ? ESF Éditeur. 2017.