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Retour sur la semaine franco-allemande

Découvrez l'article d'Ortwin ZIEMER

L’étonnante vitalité de l’enseignement de l’allemand à La Réunion

 

 

 

 

Le constat n’est malheureusement pas nouveau : Toujours moins d’élèves choisissent l’allemand comme première langue dans le secondaire en France. Selon les chiffres officiels, ils n’étaient plus que 147 000 (14,7%) en 2021 alors que ce chiffre était encore plus de quatre fois supérieur dans les années 1990. Ce déclin qui semble surréaliste en considérant que l’allemand reste la première langue parlée dans l’Union européenne avec plus de 90 millions de locuteurs natifs et qu’elle ouvre de réelles perspectives sur le marché de l’emploi a encore été renforcé par les coupures drastiques concernant les heures d’allemand et la forte réduction des classes dites bi-langues suite à la réforme du collège à partir de 2016. Bien que cela puisse paraître contradictoire à prime abord, le ministère n’arrive même plus à pourvoir qu’un peu plus de la moitié des postes proposés au concours de recrutement de professeurs d’allemand. L’allemand est en nette perte de vitesse bien sûr face à l’anglais, mais surtout ces derniers temps face à l’espagnol et le chinois. Son attractivité est en souffrance tout autant auprès des élèves que chez les futurs enseignants. Malgré toutes les déclarations d’intention des décideurs politiques et leurs discours dominicaux annonçant vouloir augmenter considérablement le nombre des apprenants de la langue du partenaire des deux côtés du Rhin, le niveau dans la langue cible continue à baisser, notamment à l’écrit, ce qui se fait douloureusement remarquer surtout dans les sections Abibac ou les exigences des programmes et à l’examen final n’ont, quant à elles, pas du tout été revues à la baisse.

 

 

Dans ce contexte peu luisant, on s’attendrait qu’à La Réunion, suite à son insularité extrême et sa grande distance avec la métropole de presque 10 000 km, la situation soit encore nettement pire. Et bien non, c’est tout à fait le contraire ! L’on y constate certes aussi une certaine érosion des effectifs, mais l’allemand se défend tout de même plutôt bien dans cette île du sud-ouest de l’Océan Indien où le pourcentage des élèves apprenant l’allemand dans les collèges et lycées était en 2021 avec environ 12 % certes légèrement inférieur à la moyenne nationale, mais n’avait pas du tout à rougir de la comparaison avec le reste de l’Outre-Mer où la position de l’allemand est depuis longtemps tout simplement marginal. Ainsi aux Antilles et en Guyane française les élèves apprenant la langue de Goethe se chiffrent en quelques centaines et les professeurs d’allemand se comptent aisément sur les doigts d’une main tandis qu’à La Réunion l’on dénombre 12 000 apprenants et plus de 130 enseignants dans le secondaire. Comment expliquer alors cette résistance pugnace et cette étonnante vitalité de l’allemand dans cette académie ultramarine ? Il faut évoquer des raisons à la fois historiques et structurelles pour y voir plus claire.

 

 

On se doit d’abord de souligner le rôle de quelques pionniers. Lorsque Christiane André, originaire de Bretagne, a débuté en 1964 sa carrière d’enseignante sur l’île, elle y était une de deux professeurs d’allemand. En devenant dans les années 1980 inspectrice d’allemand de cette académie, elle a œuvré sans relâche pour développer notamment les échanges scolaires avec les pays de langue allemande et en militant avec Michel Polényk - avec qui elle a également co-fondé en 1983 l’Association des Amis de la Culture allemande à La Réunion (ACAR) - en faveur de l’extension de l’enseignement de l’allemand vers le supérieur, pari gagné en 1992 avec la fondation du Département d’allemand de l’Université de La Réunion à St-Denis.

 

 

Au début le travail de conviction auprès de ses propres supérieurs hiérarchiques était plutôt ardu : « Comment ? Vous voulez envoyer des élèves en Allemagne ? Mais vous n’y pensez même pas ! » Et pourtant son travail de longue haleine a payé : Jusqu’avant la césure due au Covid-19, environ 700 élèves réunionnais ont participé par an aux échanges de groupes avec l’Allemagne et l’Autriche, logistiquement et financièrement soutenus par le Rectorat, l’ACAR et surtout par l’OFAJ qui depuis longtemps prête une attention particulière et bienveillante au développement de l’allemand à La Réunion dont témoigne notamment aussi le récent rapport très détaillé de Stephan Martens consacré à ce sujet dans les colonnes du magazine en ligne « Panorama. Analyses franco-allemandes et européennes ».[1] Peu à peu ces mobilités reprennent depuis la fin de la pandémie, même si elles n’ont pas encore atteint la même intensité qu’avant la crise sanitaire. Mais ce sont en particulier les échanges individuels de longue durée, type Sauzay, qui ont en quelque sorte pris le relais depuis et qui continuent à être de plus en plus prisées par les jeunes Réunionnais. Les projets Erasmus+, basés sur la préparation à distance de projets en lien avec les grands défis de notre temps – changement climatique, transition énergétique ou encore égalité femmes-hommes, problématiques qui touchent tout spécifiquement un territoire insulaire et éloigné comme La Réunion – et leur concrétisation lors de voyages liant souvent des établissements partenaires dans au moins trois pays européens qui reposent de plus en plus sur un financement mixte par les fonds européens et l’OFAJ, sont également en plein essor sur l’île avec la participation d’enseignants d’allemand de plus en plus nombreux.

 

 

Mais quelle est finalement la valeur ajoutée spécifique de toutes ces mobilités pour les élèves réunionnais ? Les motifs qui les animent sont multiples, mais leurs témoignages peuvent se résumer ainsi : Il n’est pas rare qu’ils quittent l’île pour la première fois de leur vie lors d’un échange et constatent ensuite que la langue qu’ils apprennent n’est pas un genre de code secret mais correspond bien à un mode de vie à découvrir et donc à une réalité qui ouvre de nouvelles portes et parfois même de perspectives très concrètes d’études, voire professionnelles. Ceci se vérifie notamment pour des élèves issus de l’enseignement professionnel, mais également des sections binationales et européennes.

 

 

Ce dynamisme indéniable s’explique aussi par un immense travail de liaison à toutes les échelles et par la possibilité de commencer l’allemand très tôt ce qui constitue l’un des principaux chevaux de bataille de Katharina Mühlke, l’actuelle inspectrice d’allemand réunionnaise : Depuis 2019 à l’Ecole franco-allemande des Avirons un locuteur natif initie les enfants en petits groupes dès la Grande Section par des méthodes ludiques et amusantes à l’allemand. A la rentrée 2022, la première section internationale d’allemand de collège a ouvert ses portes dès la 6ème au collège de l’Oasis du Port où sont dispensés des courts de littérature allemande et partiellement d’histoire-géographie dans la langue de Goethe. Les sections binationales se poursuivent au lycée par deux sections d’Abibac à St-Denis et au Tampon – un cas unique pour tout l’Outre-Mer - et huit sections européennes d’allemand.

 

 

De grands projets académiques structurants ont su fédérer et motiver élèves, étudiants et enseignants ces dernières années : On peut citer comme exemple la tournée de concerts pédagogiques du groupe munichois de hip-hop Einshoch6 qui a connu un vrai succès populaire à La Réunion et qui a touché plusieurs milliers d’élèves germanistes de tout l’île en 2016, l’invitation d’éminents historiens français et allemands comme par exemple Nicolas Offenstadt et Arndt Weinrich lors du centenaire de la Grande Guerre en 2017 sur la thématique « Une mémoire plurielle mais commune est-elle possible ? » ou encore lors du 30ème anniversaire de la chute du Mur en 2019. Le projet « A la rencontre de Mozart » animé par le mezzo-soprano réunionnaise Alice Ferrière a su promouvoir en 2022 l’allemand par la rencontre avec l’univers fascinant du grand-maître du classicisme musical viennois à travers ses opéras et lieder. Ce projet à touché également plus de 300 élèves du primaire et du secondaire.

 

 

A cela s’ajoutent l’attractivité grandissante des parcours d’allemand proposés par l’Université car désormais une première tout pour l’Outre-Mer complète l’éventail d’études germanistiques dans l’île : Le tout premier cursus intégré franco-allemand à double diplôme intitulé « Espaces germanophone et francophone d’Outre-Mer » mis en place par le Département d’allemand réunionnais et son partenaire, la Ruhr-Universität de Bochum réunit sous l’égide de l’Université franco-allemande étudiants allemands et réunionnais dans un même parcours universitaire alliant ainsi des études de germanistique et de romanistique. Deux ans après son instauration cette délivrance simultanée d’une licence française et d’un bachelor allemand attirent de plus en plus d’inscriptions à La Réunion et en Allemagne car elle offre de nombreux avantages : Un très enrichissant croisement des regards et des méthodes entre deux disciplines très proches au fil des enseignements communs à St-Denis et à Bochum, mais également à distance grâce à la méthode « tandem » et surtout des possibilités d’insertion professionnelle qui vont largement au-delà des débouchées traditionnelles d’études linguistiques classiques : dans le tourisme, le management, les ressources humaines, les secteurs culturels et de l’événementiel, le journalisme, mais aussi, bien sûr, dans l’enseignement.

 

 

L’année 2023 est marquée par les 60 ans du Traité de l’Élysée et de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (OFAJ). Afin de rappeler l’importance que revêt cet événement à La Réunion, non seulement sur le plan géopolitique, mais pour toute la société civile, il a été essentiel de marquer cette date anniversaire sur l’île, région ultramarine mais faisant partie intégrante de l’UE. Ainsi une Semaine franco-allemande s’est déroulée du 13 au 17 février, coorganisée par Les Amis de la Culture Allemande à La Réunion (ACAR), le Département d’allemand de l’Université, le Rectorat et l’Inspection d’allemand, l’OFAJ, l’Université Franco-Allemande (UFA) et la Ruhr-Universität de Bochum. Des personnalités de premier plan ont été invitées pour l’occasion : Trois professeurs de civilisation allemande, Jérôme Vaillant (Université de Lille III), Corine Defrance (Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne)et Ulrich Pfeil (Université de Metz-Lorraine), des artistes allemands, le slameur Friedrich Herrmann et les acteurs de théâtre Olivia van Riesen et Jonas Schlagowsky (Théalingua Berlin/Nantes) ainsi que Agnès Pruvost, cheffe adjointe du bureau « Échanges scolaires et extrascolaires » de l’OFAJ ont spécialement fait le déplacement pour proposer et encadrer tout au long de la semaine ateliers et manifestations à destination des collégiens, lycéens et étudiants germanistes de l’île, mais également à un plus large public.

 

 

 

 

 

Plusieurs temps forts ont rythmé la Semaine franco-allemande réunionnaise 2023:

 

 

Le mercredi 15 mars une conférence grand public à la Salle d’honneur de l’Hôtel de Ville de St-Pierre avec les trois Professeurs des Universités Jérôme Vaillant, Corine Defrance et Ulrich Pfeil et animée par Indravati Félicité, Professeure d’histoire moderne à l’Université de La Réunion, a permis d’aborder « Les relations franco-allemandes et l’Outre-Mer ».

 

 

Le jeudi 16 février a eu lieu à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de St-Denis le vernissage de l’exposition de photographies « Kennst du das Land… / Connais-tu le pays… ». Cette expo est le fruit d’une rencontre photographique fin 2022 entre l’Allemagne et La Réunion, encadrée par Sandie Attia (Département d’Allemand de l’Université) et Jürgen Wassmuth, photographe professionnel allemand. Ainsi des étudiantes germanistes réunionnaises et des étudiantes Erasmus allemandes se sont vu proposer différentes perspectives culturelles et artistiques, une approche technique de la photographie ainsi que des réalisations pratiques - le tout en langue allemande. Le procédé très original consistait à voir La Réunion par les yeux de quatre personnalités célèbres, voir mythiques allemandes, le corsaire Klaus Störtebecker, l’explorateur et humaniste Alexander von Humboldt, le peintre romantique Caspar David Friedrich et la danseuse et chorégraphe Pina Bausch, pour déboucher ainsi sur un dialogue entre textes et images et entre Histoire réelle et histoires rêvées.

 

 

 

 

 

Le jeudi 16 février a été présenté la BU Droit-Lettres de St-Denis l’ouvrage collectif « Sur les traces du colonialisme. Le Fonds Polényk en textes et en images » (Presses Universitaires Indianocéaniques) par les coordinatrices de l’ouvrage, Sandie Attia et Sonja Malzner. Le livre revient sur ce fonds exceptionnel de plus de 5000 documents sur l’histoire coloniale allemande et française en Afrique et dans l’Océan Indien rassemblé par Michel Polényk, ce pionnier infatigable de la germanistique réunionnaise et historien amateur passionné au sens le plus noble du terme. Le fonds peut être exploité pédagogiquement dès l’enseignement secondaire et fait surtout aujourd’hui partie du programme abordé lors du cursus intégré franco-allemand évoqué plus haut des Universités de La Réunion et de Bochum sous le toit commun de l’UFA. Anne-Marie Polényk a légué le fonds qui porte le nom de son mari défunt à diverses institutions réunionnaises dont l’Université. Christiane André dresse dans le livre un portrait émouvant de son compagnon de route des années fondatrices de l’allemand à La Réunion.

 

 

La journée-phare s’est finalement déroulée le vendredi 17 mars sur le Campus du Moufia à St-Denis :

 

 

D’abord une autre table ronde avec plus de 300 participants s’est adressée avec les mêmes intervenants qu’à St-Pierre aux élèves germanistes de toute l’île ainsi qu’aux étudiants français et allemands (Erasmus+) en évoquant le thème : « L’avenir des relations franco-allemandes ».

 

 

Ensuite du théâtre et du poetry-slam en allemand et en français sur le thème de l’amitié entre les peuples et l’amitié tout court ont été performés par des collégiens et lycéens de toute l’île ainsi que par des étudiants de l’Université de La Réunion et leurs partenaires de l’Université de la Ruhr (Bochum) encadrés par Friedrich Herrmann et Olivia van Riesen. A part des déclamations émouvants sur les liens amicaux et amoureux, on a pu aussi assister à une déconstruction en règle des stéréotypes mutuels franco-allemands par les étudiants germanistes du Département d’Allemand de l’Université et leur partenaires « tandem » venus tout droit du Bassin de la Ruhr pour l’occasion.

 

 

L’on peut donc en conclure que très certainement, dans le contexte si particulier de ce département d’outre-Mer, l’allemand restera encore longtemps un remarquable vecteur d’ouverture et aussi un véritable ascenseur social à dimension internationale.

 

Ortwin Ziemer, professeur en DNL et ABIBAC et président de l'ACAR

 

 


 

[1] Stephan Martens : Un pari fragile. L’avenir des échanges franco-allemands dans les départements et régions d’Outre-Mer : https://www.dfjw.org/media/panorama-3-l-avenir-des-echanges-franco-allemands-en-outre-mer-vo.pdf, 2022.