Le 8 février dernier, Alfred Grosser, l'un des médiateurs les plus respectés et appréciés des relations franco-allemandes, nous a quittés à l'âge de 99 ans. Sa vie a été dédiée au rapprochement des peuples, soulignant que la réconciliation entre la France et l’Allemagne, bien que solide, exige une vigilance constante contre la banalisation des rapports entre les deux pays.
Il a toujours soutenu que la jeunesse était l'acteur-clé de cette entreprise, celle-ci incarnant le combat de sa vie : le rôle moteur du duo franco-allemand dans l'Union européenne pour promouvoir l'intégration du continent au service de la démocratie, des droits fondamentaux et de la paix en Europe et dans le monde. Grosser a insisté pour former parmi les jeunes des citoyens éclairés au service de cette grande cause.
Bien qu'il ait émigré en France en 1933 pour fuir l'Allemagne antisémite, Grosser se considérait avant tout comme Français et non comme un Allemand avec un passeport français. Il était certes avant tout un politologue et sociologue de renom à Sciences Po Paris, mais aussi un éminent germaniste, diplômé major de sa promotion à l'agrégation d’allemand.
Grosser était un esprit vif, critique et contestataire, n'hésitant pas à dénoncer les abus et les injustices, même lorsque ses critiques sur des sujets sensibles contredisaient le courant dominant. Sa franchise parfois déconcertante était accompagnée d'un charme indéniable, lançant ainsi des débats constructifs à travers ses écrits ou ses nombreuses interventions publiques.
Il a toujours défendu ses convictions, même si elles allaient à l'encontre de l'opinion générale. Il a exhorté les Allemands à ne pas se replier sur eux-mêmes après la réunification et a rappelé aux Français de ne pas céder à un patriotisme excessif. Grosser était un Européen convaincu, rappelant que le véritable ciment des relations franco-allemandes résidait dans la société civile et les rapports humains.
Son engagement sincère et passionné en faveur de l'Europe et du rapprochement franco-allemand restera marqué dans nos mémoires. Ainsi, tous les participants se souviendront longtemps du vibrant appel qu'il a lancé lors d’une table ronde sur le campus du Moufia dans le cadre de la Semaine franco-allemande organisée à La Réunion de 2001, en particulier les jeunes Réunionnais. Il a souligné que ce ne sont pas les politiques, mais bien la société civile et les relations humaines qui constituent le véritable fondement des relations franco-allemandes. Il a encouragé les jeunes ultramarins de l'Ile de La Réunion à devenir des ambassadeurs d'une société multiculturelle dont les valeurs méritent d'être fièrement représentées. L'engagement sincère et persuasif de ce grand Européen continuera à résonner jusque dans nos contrées pour toujours.
Ortwin ZIEMER
Photo : Deutsch-Französisches Institut (DFI), Ludwigsburg